Fiction(s) ?

Avec tous les Grands Formats aujourd’hui, on s’immerge dans une débordante réalité de musique(s). La force et l’ardeur déployées depuis les années 80 dans l’hexagone,  pour faire vite, avec des styles musicaux et des approches artistiques ouvertes où le grand orchestre délivre et évoque des couleurs et des saveurs étonnantes, renouvelées, au travers de cultures transversales élaborées dans le giron de compositeurs de ce temps et d’arrangeurs/orchestrateurs relecteurs de patrimoine, font de ce creuset aux langages mêlées une effusion de sens et d’intelligence réunis.

Grands Formats est là. Depuis 2003. Ceci grâce aux chefs d’orchestres qui ont créé cette fédération en France. Aujourd’hui celle-ci regroupe 55 orchestres actifs et professionnels qui représentent un petit millier de musiciens affairés à tambouiller les esthétiques avec appétit et goût du risque, avec une arrivée remarquée de jeunes et nouveaux projets, depuis ces dernières années, bousculant le cadre de l’industrie dite “musicale“ (un format lisible et assimilable par le plus grand nombre comme vecteur de réussite artistique, pour faire vite) qui s’érige aujourd’hui en filière selon les propos des responsables du ministère de la Culture.

Rappelons que l’industrie musicale est d’abord celle du disque. Par l’arrivée du “numérique“, la consommation de musique redémarre grâce aux plateformes d’écoute en ligne. Parfait. Pour le profit de qui ?

Une enquête récente de l’Adami est confondante de ce point de vue. Elle met clairement en lumière la part scandaleusement dérisoire revenant aux musiciens, pourtant les créateurs de contenu, dans le schéma actuel du streaming.

Restons lucides, un compositeur “Grand Format“ est moins impacté…

Dorénavant, cette filière pourra se reconnaître dans le nouveau Centre National de la Musique, voulu par Sarkozy, finalement repris par le ministère de la culture Macron, sous l’égide bienveillante d’“une gouvernance“ (1), non précisée pour l’instant, siégeant avec “les organisations professionnelles et les parties prenantes“(sic)… l’Etat y aura “une place centrale“ est-il dit. Très bien.

Qui seront ces organisations et ces partie prenantes ? Comment cela fonctionnera-t-il ? Avec quels moyens nouveaux ? Pour quelles orientations ?
Il y a fort à craindre que verra le jour “un nouveau modèle économique“, nécessairement “moderne“, dans la droite ligne des réformes du gouvernement Macron menées jusqu’alors. Est-il utile de détailler ?

Après le rapport de Roch Olivier Maistre nous savons maintenant que ce qui est hors “filière musicale“ a été entendu, certes, mais bien peu ou pas écouté !
Est-ce une surprise ?

L’heure est à la rationalisation de la politique des moyens dont certains des objectifs, énoncés par Madame la Ministre lors du récent Printemps de Bourges, peuvent paraître louables notamment en matière d’éducation musicale à l’école.
Mais alors pourquoi ne pas inclure la sensibilisation et l’éducation à l’art véritablement et davantage au cœur des programmes de l’Education nationale tout au long de la scolarité ?

La renommée en France et à l’étranger, voire le quasi succès – soyons fous !, de certains orchestres de Grands Formats, fait que le parcours de ces musiciens professionnels rencontre une multiplicité de publics, tout en étant une expression de l’art vivant avant que d’être un bien culturel de consommation. Insistons sur ce point.

Grands Formats est une fédération d’artistes créée par des artistes ! Rappelons-le.

Cet art-là n’a pas de marché officiel, ce n’est pas celui du cinéma avec ses compétitions ni celui des arts plastiques avec ses salons et foires internationaux.
La liberté d’expression musicale est l’identité du Grand Format, sa dynamique, sa diversité, sa pertinence et sa vitalité. De l’utilité d’une musique dite “savante“ à la portée des oreilles ouvertes. Rien de plus.

Il se réinvente en permanence pour rencontrer le public, où qu’il soit et suivant des propositions qui vont bien souvent au-delà des “simples“ concerts…
Par nature ce sont des ensembles rétifs à toute forme de rationalisation économique, ils la vivent au quotidien.

Les projets des Grands Formats ne naissent pas du désir d’une efficacité potentielle à rencontrer et toucher le plus large public possible. Ils promeuvent, par défaut de moyens mais non de compétences, ce que l’on pourrait nommer : un artisanat d’art professionnel.

L’industrie, elle, se préoccupe essentiellement de rentabilité, de compétitivité, de parts de marché, c’est bien cela ?

Alors que feraient les Grands Formats dans “cette postmodernité“ de l’humanité pensée d’abord comme une agglomérat d’individus devenus agents économiques  se réalisant dans la consommation de masse ? Sous forme de divertissement culturel souvent.

Restons dignes !

Oui, l’Etat doit reconnaître les artistes engagés dans le spectacle vivant tels des passeurs d’essentiel, de fondamental immatériel, qui nourrit l’esprit, les sens, la réflexion pour faire naître des désirs inassouvis, des plaisirs enfouis, des curiosités nouvelles… En cela il est un bien public inaliénable. Il participe pleinement de l’intérêt général.

Cet intérêt “désintéressé“ fait sa grandeur.

La création artistique est créatrice de ressources inestimables.

Il est du rôle de l’Etat de défendre cet inaliénable, de le promouvoir comme une richesse nationale avant que d’être perçue comme un coût budgétaire pour l’économie de la nation.

L’écrire serait-il devenu une insulte à la République… en marche ?

Dans quel sens et vers quoi au fait ?

Certes les orchestres de Grands Formats ne joueront pas sous l’égide du CNM, l’Etat les préservera et il l’annonce : “le secteur subventionné (…), opéras, orchestres, compagnies lyriques, ensembles musicaux, festivals ou Scènes de musiques actuelles, continuera de faire l’objet d’un soutien direct du ministère, sans l’intermédiaire du Centre“.

Comment ? Sur quels fonds publics – ou non – ? Pourquoi et jusqu’à quand ? Quel sera le rôle à venir des DRAC et de la DGCA ?

Grands Formats est une fédération professionnelle – “une partie prenante“ ( !), bref un acteur engagé qui défend la création musicale sur tous les territoires, en direction de tous les publics potentiels par des concerts, ou s’inscrivant dans des projets pluridisciplinaires, générant des aventures musicales avec des musiciens de tous horizons, des amateurs, des chorales, des enfants…, avec des partenaires divers (Education nationale, monde carcéral, conservatoires etc…), la liste des réalisations menées chaque année par ces musiciens dans un relatif anonymat est impressionnante.

Tout cela avec de l’argent public et l’apport de sociétés civiles, pour faire vite, mais aussi par un art consommé de l’invention permanente – “la démerde opiniâtre“ –, une énergie et un investissement humain à peine reconnus : les cachets de notre secteur musical sont en constante diminution… Ils ne sont certes pas les seuls.

La fédération propose et organise des événements annuels – les Rentrées Grands Formats, elle établit des partenariats avec les Conservatoires (master-classes et autres interventions…) mais aussi avec des lieux de diffusion, elle est une force de contribution permanente aux réflexions professionnelles de notre secteur, elle creuse et enrichit le débat sur la place de la musique dans notre société, sur les modes de production de la création musicale, sur la capacité à investir et enrichir les réseaux de diffusion et autres, elle développe un pôle ressource pour ses membres et fournit des enquêtes étayées auprès des orchestres au ministère de la culture pour une meilleure (re)connaissance du secteur, elle initie des chantiers…

Lors du dernier Jazzahead à Brême, la fédération a lancé une initiative en direction des ensembles européens, afin d’imaginer la possibilité d’échanges transnationaux voire de créer des axes de réflexion concernant un droit du travail homogénéiser des musiciens en Europe… Vaste entreprise !

Amis musiciens, professionnels de la musique et du spectacle vivant, au-delà des querelles de chapelles – de genres, de styles, de domaines et autres…, interrogez-vous sur les dispositions de la politique publique de la culture tels que le Ministère de ladite Culture souhaite les mettre en place très vite (CAP 22 notamment).

Se profilent sous les faux nez d’opérateurs et d’organisations professionnels ciblant une économie “rentable et efficace“ de la culture, de grands groupes financiers et industriels qui développeront “leur vision“ de l’intérêt général et de la diversité artistique et culturelle.

Faut-il là aussi préciser le libéralisme en marche et ses avancées dans le domaine du “lien social“ et du “bien commun“ par exemple ?

J’y pense soudain, et je salue sa mémoire ici, Cecil Taylor a-t-il développé tout le long de sa carrière une vision rentable et efficace de son art ?

A vous de jouer ! Faites-vous écouter, vite et fort, si je puis me permettre.

Thierry Virolle – administrateur au sein du Conseil d’Administration de Grands Formats

(1) Pour susciter la lecture de “La Médiocratie“ avec Politique de l’extrême centre et “Gouvernance“ du philosophe Alain Deneault aux Editions LuxGrands FormatsGrands Formats


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