« Comment diversifier le jazz sans le tuer et comment ne mourrait-il pas s’il ne se diversifiait ? »

Cette question est un des douze principes pour un compositeur de Jazz proposés à notre réflexion par André Hodeir dont on célèbre à la fois le centenaire de la naissance et les 10 ans de la disparition.

90 années pendant lesquelles il a marqué d’une empreinte singulière et très personnelle l’analyse musicale, la littérature mais aussi et surtout l’arrangement et la composition. L’ONJ a récemment célébré de très belle manière la mémoire de ce génie de l’écriture en reprenant Anna Livia Plurabelle.

Cette question de la diversification de l’écriture, des genres musicaux, des formats, plus particulièrement dans le jazz, compositrices et compositeurs, nous nous la posons tous les jours devant notre feuille blanche.

Toutefois, comment vivre cette réflexion et la prolonger à travers notre travail au sein de nos orchestres respectifs, véritables laboratoires d’expériences compositionnelles, lorsque ceux-ci sont à l’arrêt ou en perfusion végétative ?

Loin de moi la volonté de nous imposer une lecture trop sombre de l’actualité, même si la tentation est grande, l’excès de gravité menant généralement à l’effondrement. Mais comment poursuivre le processus créatif jusqu’à son terme lorsque les objectifs sont repoussés sans arrêt, réduits, voire, lorsque les évènements sont purement annulés pour permettre aux créations d’autres artistes de bénéficier d’une maigre chance de voir le jour ?

La notion de tripartition prend tout son sens en cette période où l’on vérifie que, pour qu’une œuvre existe, création, interprétation et réception de l’œuvre doivent exister concomitamment ou successivement. Or le dernier chainon est celui qui nous manque cruellement aujourd’hui et qui, selon moi, freine terriblement le premier. Sans vouloir me raconter, j’ai noirci depuis un an de nombreux cahiers de brouillon, mais je ne suis allé que rarement au bout de mes idées, et je pense honnêtement n’avoir rien créé de bien bon. Je suis très envieux de ceux qui ont su mettre à profit cette période pour, au contraire, laisser éclore leur créativité.

Notre énergie, pour la majorité d’entre nous, a surtout été phagocytée par les démarches administratives chronophages permettant de garder nos structures en vie et faire en sorte qu’elles soient opérationnelles à la sortie de cette sombre période.

La plupart ont bénéficié d’aides publiques et, en comparant la situation avec d’autres pays, nous pouvons nous estimer privilégiés.

Malgré cela, l’avenir reste trop incertain pour beaucoup de musiciennes et de musiciens pour être serein. Plus largement, c’est la diffusion de nos musiques et le modèle économique de nos Grands Formats qui est en question.

La situation des sociétés civiles, suite au procès de la Cour Européenne de justice, est critique : que va-t-il advenir des clubs, des festivals et de nos structures qui bénéficiaient jusqu’alors des aides à la création et à la diffusion ?

Quel relais sera pris de manière pérenne par les DRAC, le CNM ou les collectivités territoriales pour faire en sorte que nos musiques soient diffusées, aient toute leur place dans notre paysage culturel, le tout sans considération esthétique afin que l’argent public profite à tous les publics ?

Cette question mérite d’être posée aux membres des comités de toutes ces instances afin qu’on puisse donner à la phrase d’André HODEIR une acception plus large : « Comment aider la musique à se diversifier sans la tuer et comment ne mourrait-elle pas si on ne l’aidait pas à se diversifier ? » 

 

 Pierre Baldy Moulinier, responsable du Big Band de l’Oeuf

Pierre Baldy-Moulinier © Franck Benedetto


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