Un vocabulaire enrichi

Il y a un an nous sortions du premier confinement qui nous avait plongé dans la stupéfaction… nous étions, il faut l’admettre, désorientés.

Un an après, nous avons majoritairement commencé à nous organiser, tout en nous habituant à annuler, décaler, reporter, à émettre réserves sur réserves …

Avons-nous réussi à nous « réorienter » aujourd’hui, je ne sais, mais alors que notre vocabulaire s’est enrichi de nombreux synonymes de « report » et de « clauses covid », deux formules étrangement liées sont apparues en mars 2020 pour devenir anodines : « non-essentiel » et « se réinventer ».

Bien-sûr, tout a déjà été dit sur l’idiotie de la formule « non-essentiel » en parlant de la culture et en particulier de la musique.

Je me permets simplement de rappeler que depuis les grecs anciens on sait que la musique, comme partie esthétique des mathématiques possède un « ethos », c’est à dire une action sur l’être humain, son humeur, sa motivation, sa santé, son apprentissage.

De plus, l’activité artistique en général est au cœur d’une vaste économie dont on ne prend la mesure que quand cette activité s’arrête.

Et pour finir : comment, touchant à l’« essence » d’une population, la culture pourrait être « non-essentielle ». A la base, c’est un oxymore.

Pourtant cette formule « non-essentiel », lourde de sens, de pensées insidieuses, obscurantistes, nauséabondes, bêtes, a une origine ancienne et se révèle au grand jour exacerbée pas la crise sanitaire et économique.

Donc, si en plus d’avoir une activité « non-essentielle », il faut « nous réinventer » !

Mais pour « se réinventer », on cherche à « trouver des solutions alternatives » !

LA solution alternative, loin d’être révolutionnaire, c’est : INTERNET !

Avait-on besoin d’une pandémie mondiale pour trouver cela !

Avec internet, cela fait 20 ans qu’une bonne partie de l’économie culturelle, en particulier la musique, est impactée par le manque de législation pour les droits d’auteurs, d’interprètes et de producteurs à l’échelle internationale.

Internet et les réseaux sociaux ont commencé à modifier en profondeur les moyens de promotion de la musique enregistrée comme du live il y a près de 10 ans. Aujourd’hui, nous repartons sur de nouvelles bases, mais comment va-t-on faire de la promotion d’un simple concert en 2022 ? Facebook ou tracts, Instagram ou affiches, encarts publicitaires ou teaser, Boost YouTube ou campagne radio … ?

L’Internet, avec un « I » majuscule, est devenu un formidable outil de promotion, certes, mais pas un formidable outil de diffusion. Car, que deviennent les droits d’auteurs, les droits d’interprètes, les droits de production ? Réponse : « rien pour le moment ou du moins : pas grand-chose ».

Et puis, si diffuser des concerts via internet, c’est « se réinventer », ce n’est pas très nouveau, cela s’appelle grosso-modo de la retransmission audiovisuelle … cela doit être presque aussi vieux que la télévision.

Diffuser nos concerts sur des chaînes YouTube ou autre, à court terme, cela permet d’exister en distanciel. Mais, même si tout le monde a compris que cela ne remplacera jamais le live, le vrai, cela peut déboucher sur la banalisation d’une pratique déjà bien ancrée qui consiste à diffuser gratuitement notre travail.

A force d’avoir laissé dire « non-essentiel », nous musiciens et musiciennes, devenons dans l’économie : transparents, sans valeur, sans essence. Pourtant, les GAFAM, les FAI, doivent bien avoir conscience de la valeur des musiques qui y circulent, puisqu’ils sont pour la plupart côtés en bourse.

Par Pierre Bertrand, La Caja Negra, membre du CA de Grands Formats

Pierre Bertrand © Isabelle Jarre


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